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CowBoy Bebop, jazz sur la voie lactée

On ne va pas se mentir, une fois passée l’attente des 24 heures du réveillon, et les 10 minutes, montre en main, de déballage intensif de cadeaux, il flotte dans l'air comme un vague sentiment de mélancolie. Encore un an à attendre. Un an merde ! Long, bien trop long... Histoire d’écourter cette attente de quelques heures, il est grand temps de se replonger dans ces séries qui ont ce pouvoir de raccourcir le temps. 

Aujourd’hui, place à CowBoy Bebop, vieille série - elle date de 98, ça peut aller - qui n’a pas pris une ride. Ok je vous l’accorde, le côté anti-héros désabusé et désinvolte ne date pas d’hier, et reste assez facile d’utilisation, mais il y a de la poésie dans ce machin-là. Vous en avez déjà vu, vous, des séries qui dégagent autant d’élégance et de poésie à l’état pur ? De mémoire, aucune. Les japonais sont très forts pour faire vibrer la corde sensible. Il n’y a qu’à regarder les films de Miyazaki pour se rendre compte qu’ils tombent souvent très justes. Place au générique.

 

 

 Du Space Opéra plein les mirettes

CowBoy Bebop est une série d'animation japonaise sortie en 1998 de la grosse maison d'animation, Sunrise (Nicky Larson, Planète) et mise en oeuvre par Shin'ichiro Watanabe

En 2022, l’explosion d’une des « Gates » de transport en hyper-espace contraint les humains à vivre cloitrés sous Terre, et à coloniser tous astres célestes pour assurer leur survie. Cette recherche frénétique de ressources entraine une montée phénoménale du nombre de criminels prêts à s’assurer une main mise sur ces denrées. Face à cette hausse de la criminalité, le gouvernement décide de restaurer un système de primes visant à rémunérer la capture de criminels. L’histoire retrace l’existence de ces chasseurs de primes, appelés « cowboys », et plus particulièrement les cowboys du « Bebop ». S’entrecroisent alors des épisodes de poursuites de primes autour d’une histoire centrale sur le passé de chaque membre du Bebop. On suit alors l’histoire de Spike Spiegel, ancien membre d'une organisation criminelle, les Dragons Rouges, de Fraye Valentine, joueuse endettée et amnésique, réveillée d’un sommeil cryogénique, de Jet Black, ancien officier de police de l’agence interplanétaire, et d'Edward, jeune hackeuse surdouée et hyperactive.

 

 

Vision idéalisée d’un univers coincé entre évolutions technologiques et idéalisation rassurante et romanesque du passé, le Space Opéra, dans la même lignée que le Cyberpunk (1984) et le Steampunk (fin des années 80), est un univers rétrofuturiste* mettant en scène des aventures épiques dans un contexte géopolitique complexe. On peut citer dans de très grosses lignes des séries comme Ulysse 31, l’excellent Full Metal Alchemist de Hiromu Arakawa, le manga français City Hall de Rémi Guérin et Guillaume Lapeyre, ou côté films, Blade Runner de Ridley Scott (bientôt sur vos écrans, soit dit en passant) et Star Wars de Georges Lucas.

Puis, rien que le mot "Space Opéra" est une annonce à quelque chose de grandiose. Quelque chose où l'on s’attend à voir débarquer, sur une vaste scène façon Sixième Elément, une grosse Castafiore bionique à la voix puissante sur fond de batailles intergalactiques. On a à peine commencé la série que l’on est déjà transporté.

 

Plus qu’une série d'animation japonaise, elle est la rencontre de codes empruntés à des cultures très différentes. On retrouvera par exemple de nombreux clins d'oeil à la culture américaine, par l'utilisation des codes propres aux westerns, comme ces personnages imprégnés d'une morale personnelle, parfois contradictoire, au tempérament nomade et indépendant. Puis, puisant leurs inspirations dans la culture chinoise et japonaise, notamment dans les scènes de combats où s'entremèlent duels à arme à feu et arts martiaux. Plus qu'un art martial, c’est toute la philosophie de combat du Jeet Kune Do qui imprègne la philosophie de vie du héro Spike. Concept martial mis au point par Bruce Lee, le Jeet Kune Do vise à réintroduire la spontanéité dans un apprentissage devenu trop rigide pour un contexte de combat réel. Cette philosophie se traduit par « Absorbe ce qui est utile, rejette ce qui ne l’est pas et ajoute ce qui t’es propre ». A méditer.

Certains médisants diront que les personnages sont ficelés de manière caricaturales et grossières, et que les moyens utilisés pour fabriquer des personnages à la cool sont les mêmes depuis des générations. C’est vrai. En 20 ans, les codes du cool n’ont pas beaucoup changés: les cyniques sont toujours attachants, les clopes au bec aussi désinvoltes et les femmes plantureuses feront toujours vendre. Rien ne sert de frapper dans le nid d’abeille lorsque l’on sait qu’on va se faire piquer. Et derrière ce proverbe africain du fond des âges, la même idée que si les gens ressortent les mêmes codes, c'est qu'il est peut-être temps de remettre en question ce qui nous fascine. Détestez les joueurs, pas le jeu.

Mais fort heureusement, CowBoy Bebop ne se résume pas à des ficelles un peu trop grosses. Ce qui fait la différence n'est pas la manière de copier ces codes, mais la manière de se les approprier. C'est en tout cas ce que Cowboy Bebop parvient à faire. Digérer ces codes, et nous les recracher dans une vision singulière de celles-ci. Vision qui fera de cette série une petite merveille qui restera dans les mémoires. Du moins dans la mienne.

 

 La musique, l’épine dorsale de la série

Le générique est déjà une mise en bouche de la mise en scène rythmée et aérienne de la série. Les combats sont chorégraphiés, calés à la seconde près sur le rythme frénétique de la musique, et donne aux images plus de poids à l'impact. L'utilisation du jazz bebop** n'est pas anodin. C'est une musique chargée en connotations, sorte de raccourcis vers un imaginaire collectif déjà implanté par son utilisation dans les séries noires. Bref, une musique qui nous transporte directement dans un ailleurs. Qui n’a pas pensé aux volutes de fumée qui s’échappent d’une cigarette sur Cosmos, ou d’une lente dérive interstellaire sur Space Lion ? Pour les puristes de séries noires ou de science-fiction, l’utilisation du saxophone, puis plus tard du duo gagnant saxophone/synthétiseur n’est pas sans rappeler l’univers rétro-futuriste du film Blade Runner de Ridley Scott dans lequel Vangelis nous y plongeait jusqu’au cou. 

La musique donne aux images une profondeur considérable, et apporte toute la contradiction et le glamour nécessaires à cette série pour nous happer dans son univers. Essayez d'imaginer Drive sans la BO de Kavinsky ou celle de Pirates des Caraïbes sans la musique de Hans Zimmer. Impensable. Autant presser le bouton "mute", et passer 1h30 de film dans le plus grand silence.

 

De la même façon que CowBoy Bebop faisait vibrer science fiction et jazz sur la même fréquence, les amateurs du genre de Watanabe pourront retrouver son style particulier dans la série Samuraï Champloo (disponible en intégralité sur votre chaîne favorite de vidéos "gratuites"), dont le thème est, cette fois-ci, de faire coincider genre théâtral japonais de combats de sabres (Chanbara) et musique hip-hop. A croire qu'il n'y a que la contradiction pour nous fait tenir en alerte.

 

See you soon, Space Cowboy, et passez un très bon nouvel an !

 

*rétrofuturiste = volonté de représenter le futur ou le passé tel qu’on se l’imagine avec nos connaissances actuelles. Un peu lorsque vous tentez d’imaginez à quoi ressemblera le futur à l’époque de vos arrières arrières arrières petits enfants.

**jazz bebop = le genre bebop est une dérive du jazz qui s'appuie sur une volonté de s'affranchir des partitions structurées des orchestres, et de laisser plus de place aux solo d'instruments et à l'improvisation. Le pianiste Thelonious Monk, le saxophoniste Charlie Parker, les trompettistes Dizzy Gillespie et Miles Davis sont des représentants du bebop.

Simon RENIER


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