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Silence, Martin Scorsese questionne la foi avec pour toile de fond, le Japon

      Hello lecteurs!

En toute sincérité, les idées de sujet pour cet article me manquaient... Heureusement, j'ai eu l'illumination ce samedi soir! Je suis allé voir le dernier film de Martin Scorsese, Silence, et je fus agréablement surpris de découvrir que le film abordait directement mon sujet de prédilection, à savoir le Japon! Et en effet je ne m'étais pas du tout renseigné sur le film avant d'aller le voir.

     Un contexte historique sombre

Comme toutes les autres nations du monde, le Japon a eu des parts sombres dans son histoire. C'est le cas avec la période historique abordée par ce film. Remettons les choses dans leur contexte. En 1603, à la suite d'une longue conquête progressive d'un Japon sous le shogunat Ashikaga, Ieyasu Tokugawa installe sa capitale à Edo (ancien nom de Tokyo) et prend la place de shogun. C'est le début d'un régime conservateur et isolationniste qui dirigera le Japon jusqu'à la fin du 19ème siècle.

Depuis un moment, plusieurs missions évangélisatrices ont été lancées vers le Japon, la plus importante étant celle du missionnaire Saint François-Xavier entre 1549 et 1551. Résultat: en 1580, on comptait près de 150 000 chrétiens japonais dont certains daimyos (des dirigeants de domaines).

Cependant, même s'il laissait les chrétiens avancer au début, Ieyasu Tokugawa commence rapidement à avoir peur de cette religion qui avance sur ses terres. Dans sa politique conservatrice et isolationniste, il souhaite que le bouddhisme reste la seule religion d'état et ne veut pas que le pays s'occidentalise. C'est dans cette optique qu'il décide en 1613 de se débarrasser complètement du christianisme au moyen d'exécutions de fidèles ou de prêtres étrangers ou en obligeant les chrétiens à renier leur foi pour adopter le bouddhisme. On considère qu'en 1638 le christianisme avait disparu du pays du soleil levant.

     Mais alors, que raconte le film ?

Tout d'abord je dois vous prévenir qu'il va y avoir des spoils, alors, si vous voulez voir le film et que les spoils vous dérangent, lisez ma chronique plus tard, je ne vous en tiendrai pas rigueur.

printerest.com - Alors ça c'est juste Scorsese

Et bien le film nous conte l'histoire du prêtre jésuite Sebastião Rodriguez (incarné par Andrew Garfield, le Amazing Spiderman oui oui) qui part au Japon avec son camarade prêtre Francisco Garupe (Kylo Ren de Star Wars VII) pour essayer de retrouver la trace d'un prêtre envoyé là-bas depuis 15 ans : le Père Ferreira incarné par Liam Neeson, dont des rumeurs disent qu'il aurait renié sa foi pour devenir bouddhiste.

Le film prend place dans les années 1630, donc juste avant la disparition du christianisme dans ce Japon. Après la mort de Garupe (et oui je spoile) on dit d'ailleurs à Rodriguez qu'il est le dernier prêtre chrétien au Japon. Arrivé là-bas, il découvre un pays où les chrétiens sont persécutés et obligés de se cacher pour pratiquer leur religion. Tout au long du film, il va devoir se battre et se questionner sans cesse pour conserver sa foi face à l'horreur qui l'entoure.

     Une vision dévalorisante des japonais ?

Dans ce film, on nous propose deux visions des japonais. D'un côté on a les japonais chrétiens, qui vivent cachés dans leurs villages, dans la crainte constante d'être repérés par les autorités. Ils pratiquent la religion chrétienne la nuit, sont sales, et paraissent vivre comme des bêtes. Comparaison que fera d'ailleurs le personnage principal. Cependant, ils sont rattachés à des valeurs extrêmement positives : le courage ou la générosité par exemple, et les prêtres créent des liens positifs avec eux. De plus, ils sont extrêmement positifs du point de vue chrétien puisque, dans une séquence : certains d'entre eux souffrent et meurent comme le Christ, attachés à une croix. Finalement on peut s'accorder pour dire que ce sont des personnages positifs.

Un des personnages ainsi accroché à une croix (toutes les captures d'écran sont tirées de la bande-annonce du film).

A côté de ça, on a tous les japonais qui ne sont pas chrétiens : des soldats, des figures d'autorité, et quelques villageois. Et quasiment tous ces personnages sont traités de manière extrêmement négative. Pour faire court, tous les soldats et figures d'autorité qui interagissent avec Rodriguez apparaissent comme étant des salauds. Même si parfois ils ont des discours intéressants et paraissent faire preuve d'empathie avec les personnages, ils s'avèrent être manipulateurs et cruels envers le prêtre et les japonais chrétiens.

On a finalement une vision assez manichéenne et clairement chrétienne des événements, Rodriguez ne rencontrant dans sa quête que de l'adversité et de la souffrance. Plus largement dans le film, on ne montre jamais ou beaucoup trop peu ce qu'il y a de beau chez les japonais ou dans le Japon. Pas de plans d'ensemble sur la réelle beauté de la ville de Nara, ni de personnages japonais non chrétiens véritablement positifs. On ne voit même pas de liens créés entre le personnage et sa nouvelle famille à la fin. Sans être négatifs, ces deux personnages sont complètement ignorés par le film.

Les autorités de la région de Nara arrivent pour "tester" les villageois, histoire de savoir si ils sont chrétiens ou pas.

Au final, on a l'impression que le film montre uniquement ce que les chrétiens ont envie de voir. Tout ce qui est chrétien est beau, tout ce qui ne l'est pas est laid ou n'existe pas. Ce n'est pas pour rien que la première projection du film a eue lieu au Vatican. Cependant n'est-ce pas là aussi le discours du film ?

     La vision de la démarche évangélisatrice

Pendant le film, un questionnement est souvent remis sur la table : celui de la légitimité de la démarche évangélisatrice, surtout au vu de la manière dont elle est effectuée. Plusieurs fois, les personnages représentants de l'autorité rappelleront à Rodriguez que : tout en essayant d'apporter leur culture au Japon, les émissaires chrétiens n'ont jamais essayé de comprendre la culture japonaise. Rodriguez ne parle absolument pas japonais, par contre les japonais parlent tous plus ou moins bien l'anglais, ce sont eux qui ont fait toutes les démarches pour se rapprocher.

On comprend alors que s'ils ont essayé d'apporter le christianisme, les émissaires n'ont jamais essayé de comprendre le bouddhisme. C'est ce que fais remarquer Ferreira (le prêtre parti au Japon depuis longtemps) à Rodriguez quand il le revoit : il lui explique alors que cette vision des choses lui a beaucoup apporté et que le christianisme n'est pas forcément une vérité, ce que Rodriguez refuse d'entendre. Il est clairement aveuglé par sa foi. Comme l'Eglise qui ne voit que la « vérité » et le salut qu'elle croit apporter. 

Ici, dans un délire lié au manque de nourriture, Rodriguez voit le Christ à la place de son reflet. Et c'est là que les autorités le retrouvent. Il se ferme sur sa quête religieuse et ne parviens pas à voir ce qu'il se passe autour de lui.

     Un point de vue finalement nuancé

Alors au final, le film, qui prend le point de vue de Rodriguez, nous montre uniquement ce que le prêtre veut voir de ce Japon bouddhiste, en excluant tout ce qu'il pourrait y avoir de positif. Ainsi c'est aussi ce que veut voir l'Eglise qui est montré, mais pas forcément ce que veut voir Scorsese ! L'image est biaisée par le point de vue chrétien et, au travers des discours sur le bouddhisme très positifs, élogieux, et pertinents d'autres personnages ou du rapprochement à la fin de Rodriguez avec la culture japonaise, on voit bien que le film a conscience que cette culture peut-être aussi positive que celle chrétienne.

Ce qui n'empêche pas que les actions des autorités japonaises de cette époque étaient tout à fait ignobles ! Cela remet simplement en cause la démarche de l'évangélisation en montrant qu'elle s'accompagne d'un refus de considérer la culture et la religion qui existent déjà dans un pays. La beauté du Japon bouddhiste existe dans le film, mais elle reste en hors-champs du cadre comme de la vision restreinte de Rodriguez et de l'Eglise catholique.

J'espère que cette analyse vous aura intéressés, n'hésitez pas à aller voir le film, et moi je vous dis à une prochaine. Tchao !

Simon MORGAN


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